Moscou, 1985. Il est seul, là et las au milieu de la gare centrale. Les briques grises et l’absence de lumière naturelle rendent le monde un peu morne sous ces mètres de bétons. Il est là depuis un mois déjà, un mois à attendre patiemment sur le deuxième banc du quai numéro 3.
« Je pars quelques jours, je reviendrai mardi prochain, attends moi, ne m’oublies pas, à mon retour nous serons heureux et ensemble ».
Ce sont les derniers mots qu’elle lui avait dit avant de prendre le taxi en direction de la gare. Il était anxieux à l’idée d’être séparé d’elle, mais elle lui avait promis tellement un beau retour, qu’il s’accrochait tous les jours à son sourire et à ses promesses.Les jours passaient et dans son coeur il voyait la date de retour arriver de plus en plus rapidement.
Le matin du grand jour, il sorti son plus bel habit et alla acheter le plus beau et le plus gros bouquet de fleurs chez le fleuriste du coin. Il s’installa nerveusement sur le deuxième banc du quai numéro 3. D’une main il tenait le bouquet de l’autre il tenait une petite boîte sur laquelle était dessiné à la main le nom de sa dulcinée. Ce petit récipient contenait les lettres qu’il lui avait écrit tous les jours durant son absence. Il avait hâte de lui donner pour qu’elle voit à quel point il s’ennuyait, à quel point elle lui avait manqué.
Dès l’instant du départ de sa belle il avait rêvé à ce retour, à la sensation qu’aura son corps contre le sien lorsqu’ils s’enlaceront de nouveau. Une dizaine de jours ce n’est pas la fin du monde, mais pour un coeur amoureux le temps passe plus lentement, le temps est plus dur aussi sans la présence de l’être aimé.
Le train devait arriver à 11h05. Il était déjà 11h06, pas de signe du train. Il s’impatientait déjà, ayant mis toutes ses forces et sa concentration sur le 11h05, dépasser une minute semblait devenir une périlleuse attente pour lui. À 11h15, il entendit le bruit métallique du train se rapprocher. Quelques instants après, les freins firent claquer les roues sur place et enfin le train s’immobilisa.
Son coeur palpitait comme jamais, il allait enfin être de nouveau réuni avec elle et pour toujours. Les premiers passagers descendaient. Il regardait chacun des visages, chacun des hublots, en quête de sa douce. Puis, le personnel de soutien apparu et finalement le chauffeur descendit pour aller se dérouiller les jambes. Les portes étaient closes, elle n’était pas là.
Il chercha partout, de gauche à droite, de bas en haut. Il attendit. Il retourna chez lui, tenter de l’appeler, pas de réponse. Où était-elle ?
Ça, il ne le sut jamais. Le lendemain de ce tragique instant, il retourna à 11h05 au deuxième banc du quai numéro 3. Un nouveau bouquet de fleur et la petite boîte dans une main. Il recommença ainsi tous les matins.La petite boîte devint de plus en plus petite au fil des jours puisqu’il écrivait une nouvelle lettre à chaque matin en se levant.
Aujourd’hui, un homme n’a pas pu s’empêcher de lui demander pourquoi il s’entêtait à toujours revenir attendre cette fille :
« Pourquoi, monsieur, vous ne lâchez pas, elle ne reviendra pas, vous vous faites plus de mal qu’autre chose ».
Il lui répondit, avec un sourire sincère cachant une peine interne :
« Je comprends ce que tu me dis, mais que puis-je faire ? Elle m’a dit qu’elle reviendrait et qu’à son retour nous serions heureux. Elle n’est pas là, mais je ne peux rien faire d’autre qu’espérer. Si j’arrêtais de l’attendre, ce serait une torture tous les jours de me dire qu’elle est peut-être revenue et que je n’étais pas là. Lui écrire tous les jours c’est ma façon de la garder vivante, de la garder dans ma vie. Je suis ici tous les jours et j’espère, car c’est tout ce qui me reste, de l’espoir. L’espoir fait vivre mon ami. »
Le curieux prit une longue respiration et lui répondit :
« L’espoir fait vivre, mais on ne vit pas longtemps le coeur brisé camarade ».
Les yeux de l »amoureux se remplirent de larmes et sa voix se fit plus faible :
« Mon coeur est parti avec elle, je lui ai donné et elle est parti avec lui. Je n’ai pas le coeur brisé, je n’ai plus de coeur. Je lui ai donné pour ne pas qu’elle m’oublie et pour qu’elle le place près du sien. Je me sens vide maintenant. Je lui ai tout donné et elle m’a oublié. Je n’ai plus rien pour moi aujourd’hui si ce n’est que d’espérer qu’elle revienne me voir. Je vis dans l’attente, dans l’anxiété, j’ose croire qu’elle reviendra ».
Le curieux le regarda droit dans les yeux, lui sourit et lui mit la main sur l’épaule :
« Je me demande s’il ne vaut pas mieux avoir le coeur brisé plutôt que de laisser, comme vous, le destin de son coeur entre les mains de quelqu’un qui disparait. Il ne vous reste que l’espoir et vous dites que l’espoir fait vivre, mais n’oubliez pas que la vie tue. »
Il haussa les épaules, sachant très bien que tout ses agissements étaient illogiques, mais qu’il n’y pouvait rien. Il devait attendre et y croire. L’homme curieux reparti d’où il était venu, continuant son périple quotidien. Le long de sa marche il croisa une dizaine d’hommes, assieds sur un banc, l’air maussade, bouquet de fleurs dans une main et petite boîte dans l’autre. Tous attendaient, tous espéraient.
Qu’on soit à Moscou dans les années 80, que l’on soit à Tokyo hier ou à Paris demain, dans chaque gare, dans chaque station, il y a un amoureux qui espèrera le retour de sa belle. À chaque instant, à chaque endroit, de chaque époque, il y aura toujours un homme et une fille pour se dire un « à bientôt » qui deviendra un terrible « adieu » .